Le titre de mon prochain roman : La prédatrice. Première partie : Werewoman
Un roman fantastique en cours d'écriture. Je pensais en faire 150 pages, c'est parti pour plus que cela. Donc, un gros livre, étrange et tordu. Peut-être pas à La Girandole, mais chez un éditeur Parisien. Pour la Girandole, un petit opus avec quelques nouvelles. Cette fois-ci sans coquilles, promis, nous avons une bonne correctrice maintenant. En attendant, nous allons sortir le livre de Daniel Henriot : Les graines de Paradis. Sortie en octobre.
Un texte sur la lâcheté... si courant la politique de l'autruche...
CHARLES
Je m’appelle
Jean. Cette nuit, je n’ai pas trop dormi, mais ce n’est pas pour parler de moi
que je veux attirer votre attention, c’est pour parler de Charles. C’est devenu
un ami. Je l’admire et il m’a sauvé la vie. Quand on est sorti de la tranchée,
ce matin-là, les boches avaient installé deux nouvelles mitrailleuses sur le
flanc de la colline. On n’avait rien vu dans la nuit. Il pleuvait comme
toujours et on s’est lancé à l’assaut. Les balles en ont fauché des camarades,
qu’est ce qu’il a pu boire comme sang ce champ ce jour-là. L’assaut a été un
échec. C’était il y a un an en 1916. Je suis tombé touché par une balle qui m’a
blessé à la jambe. J’ai vu tous les copains faire demi-tour, me laisser seul et
abandonner l’assaut. J’ai gueulé, Dieu que j’ai pu gueuler. Et puis, j’ai
entendu des pas derrière moi. Des bras puissants m’ont saisi et le type m’a
tiré en direction de nos lignes. C’était Charles. C’est comme ça qu’on s’est
connu. Ma blessure n’était pas grave et j’ai dû revenir. Je ne sais pas si cela
n’aurait pas été mieux si j’avais été amputé. Charles, il parle de tas de trucs
que je ne comprends pas toujours. Il parle de Socialisme, d’ouvriers et de
paysans ensemble pour faire une révolution. C’est bien gentil tout ça, mais
souvent, il me fait rigoler. On voit bien qu’il est de la ville lui. S’il
connaissait la campagne, il saurait que nous on n’a pas le temps de se mettre
en grève. Et si on faisait grève, qui c’est qui ramasserait nos récoltes ?
On a souvent lui et moi de longues discussions à ce sujet. Mais, je l’aime bien
Charles. Il a sans doute raison, il sait mieux lire que moi. Il dit que c’est
grâce au syndicat qu’il sait bien lire. Sinon, comme nous tous, il a abandonné
l’école dès le certificat. Son syndicat, il dit qu’il a monté une bibliothèque.
J’aimerais bien moi savoir lire comme lui, mais j’ai loupé mon certificat. En
tout cas, je l’admire. C’est presque un monsieur parmi nous, même si c’est un
ouvrier et que son grand-père était paysan comme moi. Charles, il aime les
bêtes. Il a même apprivoisé un rat qui venait nous voir dans les tranchées. Il
lui donne parfois des bouts de ration et c’est devenu la mascotte de notre
tranchée. Il dit que ceux d’en face aussi, ils aimeraient bien rentrer, qu’ils
sont aussi dans la boue, dans la mort. Charles, il m’aide à faire les lettres
pour ma femme. Le petit dernier doit avoir deux ans maintenant. Si je reviens,
j’appellerai le prochain Charles. Son seul défaut à Charlot, c’est que parfois,
il parle trop de ses trucs de syndicat. Après l’assaut de la semaine dernière
qui a été une véritable boucherie, il a dit qu’il ne fallait pas se laisser
faire. Je l’aime bien Charles, mais moi j’obéis, j’en fais pas à ma tête comme
lui. Il y a une demi-heure, Charles était devant moi. Je n’avais pas envie,
mais j’avais un ordre. Alors, j’ai fait comme tous les gars du peloton, j’ai
appuyé sur la détente et Charles s’est écroulé dans la boue.
En
passant par mon bar préféré (normal ! c’est le seul) de mon patelin, je
suis tombé sur le gros titre d’un quotidien de Province dont je tairais le nom
par pudeur qui disait ceci :
Crise, foot
et météo
Halte à la déprime
La veille, j’avais pu voir au bord de la route un énergumène
qui agitait un drapeau (vraisemblablement piqué le 6 juin) et qui était couvert d’une perruque jaune
paille. Il hurlait.
J’ai conclus qu’il était en crise, et cela à cause du foot.
A cette heure, il a du retrouver ses esprits. Le lendemain d’une crise, on tombe souvent
dans une déprime.
Lorsque
le lama Rimpoche T Labsang Souchong mourut dans son petit monastère du Népal,
près de la frontière avec le Tibet, il arborait un sourire satisfait. Il faut
dire que ce moine était un incorrigible optimiste. Lorsque les chinois avaient
envahi le Tibet, alors que la plupart des gens fuyaient, il était resté à
sourire face à l’armée jeune et excitée qui détruisait tout sur son passage. Il
avait ensuite subi la révolution culturelle puis, après de longues années de
rééducation, il avait réussi à franchir la frontière pour aller au Népal, plus
tranquille. Là, il avait pu trouver un monastère qui l’avait accueilli. Il
avait alors vécu une vie sans reproche, une vie de sage parfait. Les gens qui
le connaissaient n’en doutaient pas, le lama Rimpoche T Labsang Souchong était
un Bodhisattva, un sage qui allait enfin rejoindre le Nirvana, le détachement
ultime loin des souffrances terrestres. Lui-même n’en doutait pas non plus, il
était un incorrigible optimiste, il savait que son karma était bon, il avait
vécu de façon exemplaire. A sa mort, il s’endormit paisiblement, le sourire
satisfait de la réussite sur son visage.
Malheureusement,
dans son passé de jeune moinillon, un évènement qu’il avait depuis longtemps oublié,
oblitérait sérieusement sa sortie du cycle des réincarnations. Il avait une
fois, animé par la curiosité et l’impétuosité de la jeunesse, osé goûter de la
viande, manger d’un être vivant animé. Ce n’était pas grand-chose, juste une bouchée
qu’il avait subrepticement pris dans l’assiette de son voisin de table. Les
conséquences en furent terribles, le lama Rimpoche T Labsang Souchong avait
encore une réincarnation à faire s’il voulait rejoindre le Nirvana. C’était
ainsi la dure loi du cycle des réincarnations.
2 Le premier combat
Le
démon apparut soudainement, devant lui. Tout d’abord, il n’avait pas fait
attention, se demandant ce qu’il faisait là, cherchant une raison à sa présence
dans ce lieu étrange qu’il ne connaissait pas. Et l’horrible créature était
apparue là, juste devant ses yeux. Il soupira et pensa :
« Je
pensais avoir mené tous les combats contre les démons et en voilà encore un,
Mara ne veut décidément pas me laisser tranquille. »
Il
se souvint de son dernier combat contre un envoyé de Mara. C’était au temps où
les chinois avaient envahi le Tibet. Affaibli par les privations et les mauvais
traitements, le monstre lui était apparu de nuit. Toute la nuit, il l’avait
combattu courageusement pour finir par en triompher au petit matin. Il avait alors
compris que ce démon était sa propre colère contre les envahisseurs. Mais là,
aujourd’hui, qui donc pouvait être cette nouvelle créature ?
En
habit de lumière, le démon fixa Rimpoche T Labsang Souchong d’un regard scrutateur.
Il devait être là pour le tester, pour lui interdire l’accès au Nirvana. Le
lama sut que ce combat serait son dernier combat. Il savait qu’il devait se
battre sans se laisser envahir par trop de colère s’il voulait triompher du
démon. S’il perdait et laissait les émotions l’envahir au point de perdre son
contrôle, il était bon pour une dizaine de réincarnations de plus et, il ne
voulait surtout pas cela. Cela commençait à le lasser toutes ces vies
supplémentaires. Cependant, il était un incorrigible optimiste et il savait
qu’il mettrait le démon en fuite.
Ce
dernier commença à tourner autour de lui, lui disant des choses qu’il ne comprenait
pas. Rimpoche attendait une faiblesse de son adversaire, un simple instant
d’inattention où il pourrait frapper en premier. Un court instant, il vit les
yeux du démon cligner. Celui-ci avait le soleil de face. Ce fut le moment que
choisit le lama pour foncer tête baissée.
« Commence
donc par me prendre un bon de coup de boule mon gaillard, tu vas comprendre à
qui tu as affaire. » Pensa-t-il.
Il
sentit sa tête pénétrer le corps du démon, mais au moment même où il eût cette
sensation, ce fut comme si le démon avait disparu, sa tête ne rencontra que l’étoffe
de son vêtement.
« Il
utilise de la magie pour se déplacer. »
Les
pensées se bousculaient dans la tête de Rimpoche. Il poursuivit sa course
emporté par l’élan pour se retourner plus loin, hors de portée du démon.
Au
léger sourire du démon en habit de lumière, il vit bien qu’il ne l’avait pas
touché. Le lama trouva que le monstre se foutait un peu trop de sa gueule. Il
cracha par terre car quand lama fâché, toujours faire ainsi. Il rechargea.
Encore une fois, sa tête ne rencontra que le vide pendant que du public montait une clameur.
Il
s’arrêta et repensa à ses combats passés. Une fois, Mara lui était apparu, lui
conseillant de goûter un peu à un bon plat de porc comme le faisait le chinois
du village voisin. Ce jour là, le lama Rimpoche T Labsang Souchong dormait sous
un arbre près de la rivière. Il avait oublié de manger son riz et Mara avait
profité de sa faiblesse pour lui apparaître en rêve sous la forme de la faim.
En bon lama, il avait combattu le démon en utilisant la meilleure arme qu’il
avait. Il avait crié « Pars ! Tu n’es qu’illusion », faisant
sursauter de pacifiques pêcheurs qui se trouvaient en face de lui de l’autre
coté de la rivière. Mara avait alors disparu et le lama était rentré se
sustenter en riz au village. S’il avait cédé, rien qu’une fois, pour chaque
bouchée de viande, il était bon pour une réincarnation supplémentaire.
Il
arrêta de penser pour se retrouver dans l’arène face au démon qui l’attendait.
Sur la gauche, un autre démon venait d’apparaître, toujours habillé de cecostume violemment coloré et doré. Le
démon criait, l’excitait. Il repensa au combat du bouddha contre l’armée de
Mara au moment où celui-ci était près d’atteindre l’illumination. Pour vaincre
les démons, il avait touché le sol du bout des doigts de la main droite et la
déesse de la terre l’avait aidé. Rimpoche fit de même en grattant le sable de
sa patte avant droite. Il chargea à nouveau, mais pendant qu’il chargeait, il
vit que son adversaire se coulait dans un mur pour disparaître, il obliqua
brusquement sa course pour attaquer le démon de gauche. Il vit celui-ci
disparaître dans le mur avant qu’il ne puisse l’atteindre. Il était seul.
Il
jubila « Victoire ! Ce vieux truc marche encore. »
Les
démons étaient vaincus. Il put alors à loisir examiner l’endroit étrange où il
se trouvait. C’était un étrange cercle entouré de murs. Sur le sol, il n’y avait
pas d’herbe, juste du sable.
Une
réflexion lui vint : « C’est un cercle magique. »
Il
se souvint alors de ses lectures au monastère. Celles des livres que laissaient
de jeunes occidentaux barbus et chevelus qui étaient venus étudier le grand
véhicule par lequel on pouvait s’approcher de la voie du Bouddha. Cela le fit
sourire, beaucoup de ces jeunes arrivés au début des années 70 étaient
américains. Comme il comprenait l’anglais, il avait beaucoup discuté avec ces
curieux visiteurs qui lui avaient laissé des livres en souvenir. Il avait
essayé de comprendre les croyances de ces occidentaux qui lui paraissaient si
bizarres. La raison de ce syncrétisme qu’ils représentaient.
3Les dragons
C’est
à ce moment que retentit à nouveau la trompette qu’il avait entendue auparavant
dans son toril. Immédiatement, par association d’idée, il repensa vaguement à
un ouvrage religieux occidental qu’il avait lu :
« Lorsque
l’agneau ouvrit le premier sceau, je vis apparaître un cavalier… »
Apparurent
les démons, certains montés sur des dragons. Le lama comprit que ce n’était
plus de la rigolade. Il lui fallait défendre chèrement sa peau.
« Décidément,
on ne peut pas être tranquille plus de cinq minutes. » Pensa-t-il. C’était
la première fois dans sa vie qu’il avait à combattre des dragons. Il décida de
ne pas leur laisser d’initiative. Il regratta le sol, puis tête baissée,
chargea celui qui était le plus près de lui. Au moment ou il allait atteindre
le dragon, celui-ci pivota habilement mené par le cavalier et évita la tête du
lama. Il sentit une douleur fulgurante lui traverser le museau et il s’éloigna
au plus vite.
Il
savait que c’était un combat à mort. Il lui fallait combattre, car les démons
étaient décidés à le tuer. Il chargea un autre dragon à sa droite. Avant
d’arriver au monstre, il releva un court instant la tête et s’aperçut que ce
qu’il avait prit pour des dragons étaient des chevaux déguisés en dragon. Cela
lui donna du courage en même temps qu’il se sentit vaguement gêné. Tuer un
cheval, ce n’était pas bon pour son karma. En même temps, ces chevaux étaient
aux ordres des démons. Il ne savait que faire dans ces cas là.
Il
n’eut pas à réfléchir longtemps, les chevaux se rapprochaient de lui. Sa
blessure lui faisait mal. Il chargea. S’il faisait chuter le cheval en le
blessant un peu, le démon qui le montait serait en mauvaise posture. Et il
pourrait lui régler son compte. Il arriva à la hauteur du cheval, mais le
cavalier sut l’éviter au moment où il arrivait. Une autre sensation de douleur
lui vrilla le cou. Il voulut relever la tête, mais la douleur l’en empêcha.
Un
autre cheval arrivait, il vit la lance que tenait le démon et put l’éviter. Il
s’éloigna, un peu. Les chevaux se rapprochèrent et il dut essuyer de nouvelles
blessures. Il combattait pourtant sans se soucier de la douleur, en lama bien
entraîné.
Son
courage désespéré finit par porter ses fruits. Au bout de quelques minutes,
tous les chevaux et démons disparurent.
Le
lama savait qu’il perdait du sang, il commençait à se sentir fatigué, mais la
disparition des envoyés de Mara fut pour lui le signe qu’il avait vaincu. Il
pourrait enfin se reposer et se remettre de ses blessures.
4 Le lama fâché
Rimpoche
T Labsang Souchong était vraiment un incorrigible optimiste car résonna à
nouveau la trompette.
Cette
fois-ci les démons étaient à pied. Cela le ragaillardit, et malgré sa fatigue,
il attaqua à nouveau.
Il
s’aperçut que ces démons étaient différents des autres, leur uniforme était
tout aussi coloré, mais l’argent dominait et non pas l’or comme précédemment.
Ils étaient de véritables acrobates qui évitaient son attaque au dernier
moment. A la troisième attaque, il sentit dans son dos la douleur des harpons
qu’on lui planta.
« Ce
n’est pas du jeu. » Pensa brièvement le Lama avant de recommencer à
charger. Il cracha au passage un peu de sang car quand lama fâché, toujours
faire ainsi. Le démon tenait ses harpons colorés et évita facilement la charge.
Les banderilles se plantèrent à nouveau dans son dos, mais l’une d’elles mal
fichée tomba sur le sol.
« Dire
que pour être sûr de ne pas bouffer de la viande au cours de ma dernière
réincarnation, je me suis réincarné en paisible ruminant. » Soupira le
lama. « Et voilà que Mara m’envoie toutes ses hordes de démons. Voilà une
sacrée mise à l’épreuve. »
La
dernière charge du ruminant épuisé sur un démon se termina comme les autres, et
un dernier harpon lui fut planté dans le dos, le second glissa sur son cuir.
Après
quelques minutes, épuisé, sentant que c’était la fin, le lama resta un moment
immobile, ensanglanté sous le soleil. Il sentit soudainement qu’il était seul.
« J’ai
vaincu encore ceux-là, mais ne je pourrais pas tenir un round de plus, sinon
c’est la fin. »
Alors
retentit la dernière trompette.
5 Le dernier combat
« Bouddha,
je t’ai dit que je n’en tiendrais pas quatre comme ça. Aide moi, donne moi
ta main pour sortir de cette arène. » Soupira le lama Rinpoche.
Il
n’y avait plus qu’un seul démon dans l’arène. Celui-ci, sans quitter de l’œil
le lama faisait un rituel que Rimpoche ne comprit pas. Au bout d’un moment, le
démon se retourna vers lui. Rimpoche vit
la cape et l’épée que tenait le démon. Il comprit que c’était là son dernier
combat.
Lui
ou le monstre, de toute façon cela n’avait aucune espèce d’importance, il était
sûr d’atteindre le Nirvana au bout. Il avait mené sa réincarnation de façon
exemplaire. A aucun moment, la colère ne l’avait aveuglé.
Le
combat dura brièvement avec les charges désespérées de Rimpoche qui se
terminaient par un évitement adroit de la part du démon. Epuisé, le lama tenta
une dernière charge.
Lorsque
le lama sentit l’épée s’enfoncer dans son corps, il comprit que son existence
terrestre était terminée. Il s’écroula dans l’arène un peu plus loin, emporté
par l’élan. En agonisant, il eut quand même la pensée que enfin, il allait
atteindre le Nirvana. Lama, il avait commis l’erreur de jeunesse de goûter à de
la viande de bœuf, cela lui avait coûté une réincarnation en l’animal qu’il
avait mangé, il était devenu taureau. Maintenant, il pouvait partir en paix.
Le
taureau mort dans l’arène, le matador remercia la foule, puis comme celui-ci
s’était battu vaillamment, il eut droit aux oreilles et à la queue, honneur
suprême. Des chevaux vinrent chercher la dépouille du taureau qui fit le tour
de l’arène.
6 Un incorrigible optimiste
Le
lama Rimpoche T Labsang Souchong était un incorrigible optimiste. Une des
années précédentes, il avait fait une sécheresse terrible et l’herbe se faisait
trop rare. L’éleveur peu scrupuleux lui avait alors donné ce que l’on donnait
en principe à l’époque aux ruminants à destination de la boucherie : Des
farines animales. Cela pendant trois mois. Le lama Rimpoche T Labsang Souchong
avait donc droit encore à quatre mille trois cent soixante dix huit
réincarnations avant d’atteindre le Nirvana. Mais comme c’était sous forme de
mouton, il avait quelques chances de ne manger que de l’herbe au cours de ces
réincarnations futures. Encore que les méthodes d’élevage risquaient évoluer
avec les siècles, et alors là...
Au
cours des années suivantes, dans le monde un peu partout apparaissait de temps
en temps un mouton qui n’arrêtait pas de cracher. « Quand lama fâché… »
Tout
ce que nous vivons, ce que nous ressentons par nos sens, ce que nous imaginons
est traité en finalité dans notre système nerveux central. Ce système n’existe
pas chez les branches les plus anciennes des animaux et n’existe pas chez les
végétaux actuels (pour des raisons de croissance et de structure). Il se
complexifie au fur et à mesure de l’apparition de nouvelles formes évolutives
pour arriver jusqu’à nous. Grosso modo, en schématisant à l’extrême, le premier
stade contrôle les fonctions vitales (bien que le cœur puisse être en partie
autonome) et les réflexes telle la respiration.Le système secondaire contrôle davantage les émotions (peur et
agressivité) sous une forme de réflexes liés à l’expérience. Expérience
signifie une première mémoire.Le
troisième étage, plus élaboré utilise une mémoire plus complexe et permet le
choix, c'est-à-dire une analyse plus complexe de la situation. Qui dit choix
dit imagination.
En l’absence
d’imagination, il n’y a pas de choix possible.
Ces
systèmes ne correspondent pas forcément à des zones précises du cerveau. L’évolution
a en effet modifié ces systèmes dans les différentes branches animales et les
termes chers à Henri Laborit de paléocéphale, système limbique et néocortex
sont aujourd’hui évités, car trop réducteurs. Les nouveaux termes fonctionnels
employés (cerveau reptilien, limbique et néocortex du cerveau triunique sont
hélas trop anthropomorphistes).
Dans
notre imagination humaine, voire celle des mammifères (ici nous nous cantonnerons
aux humains, le reste est un sujet problématique), les trois systèmes
influencent directement ou indirectement le comportement. Le système sur lequel
nous pouvons agir directement est bien sûr le troisième système, quoique…
affamer quelqu’un, ou le priver de sommeil, permet de modifier son comportement
de façon profonde. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Le système de base est donc l’imagination.
Cette imagination est en grande partie responsable de notre comportement et de
nos choix. Ces choix sont mémorisés et la mémoire de ces choix joue un rôle
fondamental.
Tout nouveau
choix se construit à partir des choix précédents.
Nous
avons dit plus haut que la perception de la réalité était toute subjective. Si
on appelle réalité les phénomènes physiques ressentis dans notre monde, cette
réalité va jouer un rôle plus ou moins grand dans la pensée, suivant les
individus. C’est ce que j’appellerai la
structure mentale. Celle-ci se construit dès le début du fonctionnement du
système nerveux jusqu’à un âge variable suivant les individus à partir duquel
il n’y a plus construction, mais utilisation systématique. Et c’est là que l’on
retrouve le vieil adage parlant des mâles, mais pouvant englober tous les sexes :
Avec l’âge, les raideurs se déplacent.
La structure mentale est donc en quelque
sorte la représentation du monde.
Celle-ci
n’est pas fixe tant qu’elle se construit, mais peut évoluer de façons
différentes. La classification des structures mentales est donc, pour les
jeunes, qu’une donnée dynamique. Cependant, plus on avance dans l’âge, plus il
est difficile de s’en construire une autre. Cela a été remarqué depuis
longtemps et les écoles, principalement religieuses, savent tirer parti de
cette propriété de plasticité chez les plus jeunes.
Éléments
jouant un rôle dans les structures mentales :
Innés ou
non lié à la culture :
- L’influence
de la constitution du cerveau
- L’influence
du corps
-
Les autres influences pouvant jouer un rôle
Acquis :
- Les
comportements de groupe
- La
notion de relativité
- La
culture
Ce
qui n’est pas du domaine de l’acquis est étudié en partie par les neurophysiologistes,
éthologues, etc. Nous laisserons ceci de côté.
Sonia est
revenue de Paris il y a une semaine, après trois longues semaines d’absence. Ce
matin, je l’ai surprise en train de mettre dans un carton tous ses vieux
bouquins d’ésotérisme. Il y avait celui avec lequel on s’est connu. Elle m’a avoué
qu’elle avait pris ces distances avec ce genre de conneries. Je n’ai rien dit
et l’ai laissé porter le carton à la benne à ordure. Elle a rajouté en
riant :
— Et ne me parle plus de ton ange gardien, je
t’en supplie.
L’ange, j’en ai
entendu la voix pour la première fois lorsque j’étais en panne au bord de la
route dans un endroit désolé grillé par le soleil. Une voix qui semblait venir
de juste au dessus de ma tête. Douce, de sexe indéfinissable, elle m’a dit
comment dépanner la voiture. Et j’ai pu repartir. En conduisant, je
réfléchissais à la voix que j’avais entendue, mais n’ai pas trouvé
d’explication satisfaisante.
J’avais fini par
dire à Sonia que j’avais une sorte d’Ange gardien dont j’entendais la voix,
sans ajouter trop de détails la concernant directement. On en parlait souvent,
mais depuis qu’elle a jeté les livres, il n’était plus question d’aborder le
sujet. De plus, l’ange est resté étrangement silencieux jusqu’à ce soir.
La seconde fois,
qu’il m’a parlé, ce fut un dimanche de septembre. J’allais au marché aux livres
dans une ville voisine. Je m’ennuyais beaucoup comme célibataire, et il était
difficile de faire une rencontre fructueuse dans cette région perdue. Aussi, je
passais mes soirées à lire, détestant la télévision que de toute façon je
n’avais pas. Le marché aux livres se tenait sur une petite place aux arcades
qui protégeaient du soleil les terrasses des cafés. Au milieu, en plein cagna,
les malheureux marchands se relayaient entre terrasse fraîche des cafés et
fournaise du stand. J’avisais une charmante brune que je n’avais jamais vue
auparavant. Elle était juste devant moi, sur l’autre allée à discuter du prix
d’un bouquin qu’elle tenait à la main et semblait hésiter. La voix venue d’en
haut se fit entendre de façon autoritaire :
— Elle va aimer ce livre, mais pour qu’elle
l’achète, il faut que tu lui dises qu’il est le meilleur de cet auteur. Le
vendeur peut baisser de moitié. Va la voir !
Je suis
ordinairement timide et aborde rarement des inconnus, mais je me suis senti obligé
de passer dans l’autre allée et de m’approcher d’elle en lui disant :
— Il est excellent, c’est son meilleur, vous
ne le regretterez pas.
— Mais il est cher
— Marchandez ! Dis-je à mi-voix pour que
le marchand ne m’entende pas. Il vaut la moitié de ce qu’il en demande.
Puis, je
m’éloignais, embarrassé. Je m’étais aperçu en jetant un coup d’œil sur la
couverture que l’auteur m’était parfaitement inconnu.
Je me mis à la
terrasse d’un café plus loin et la cherchait des yeux, elle avait disparu. Tout
en sirotant mon pastaga, je commençais à trouver bizarre d’entendre des voix
comme cela. La fille était belle et je sentais que j’aurais pu continuer la
discussion. La timidité est une foutue maladie. Et j’étais perplexe quand à
l’origine de cette voix. Elle était tellement réelle. Il n’y avait jamais eu de
cas de schizophrénie dans ma famille, et je n’avais nulle envie d’être le
premier.
Le lendemain, je
retournai dans cette même ville, car c’était le seul endroit où trouver un
boulanger ouvert. Il devait être presque midi et il n’y avait plus de pain. Je
sortais dépité.
Encore des
nouilles au menu de midi. J’étais sur le pas de la porte de la boulangerie
quand la voix me dit d’aller m’asseoir en terrasse sur cette même place où
avait eu lieu le marché la veille. Comme un robot, j’obéis. Jusqu'à présent,
cette voix ne me portait pas tort. Pendant que je marchais dans les rues
presque désertes en direction de la place, je me posais des questions quand à
l’origine de cette voix.
— Je suis ton ange gardien !
La réponse venue
de nulle part me fit sursauter. Malgré moi, à voix haute je répétais :
— Un ange gardien ?
— Oui. Va t’asseoir en terrasse et laisse
faire les choses.
La voix se tut
et j’arrivai sur la place. Le café venait d’ouvrir. J’étais le premier client.
Je commandais une noisette.
Je ne l’ai pas
entendue arriver. Elle est venue de derrière moi et je l’ai entendue
dire :
— Je peux m’asseoir ?
Je me suis
retourné. C’était elle, la fille de la veille. Elle avait un grand sourire. Je
lui ai désigné la chaise en face de la mienne.
— J’ai déjà entièrement fini le livre que
vous m’avez conseillé. Je n’ai jamais rien lu d’aussi passionnant. J’en ai
oublié de dîner hier. Vous avez l’air de vous y connaître.
Je
bredouillais en mentant comme un ministre :
— Je l’ai lu il y a longtemps, mais il
m’avait beaucoup marqué. Mais je dois vous avouer que je lis tellement de choses
que je ne me souviens plus exactement de quoi il parle.
— Des anges gardiens. C’est un très beau
livre. Je vous remercie.
Je changeais
brusquement de conversation pour éviter ce terrain glissant.
— Vous êtes de passage ?
— Non, je suis nouvelle arrivante. Je fais un
stage d’ébéniste. Je sais que ce n’est pas très courant pour une femme, mais je
veux me spécialiser en création de meubles d’art. Je loue un studio ici. C’est
ma première journée. Vous habitez ici ?
La conversation
suivit son cours, elle commanda un sandwich avec une boisson, puis vers une
heure prit congé de moi. En ce peu de temps, elle m’avait donné son téléphone
et m’avait invité chez elle prendre le thé le samedi suivant. On avait
l’impression de bien se connaître.
Je suis rentré
chez moi troublé. Mon ange gardien me plaisait vraiment.
Au cours de la
semaine, j’entendis une fois la voix en voiture. C’était à la tombée de la nuit
et j’allais aborder un virage en étant pressé. La voix me dit :
— Ralentis !
Je freinais.
Dans le virage traversa alors l’air de rien un troupeau de sanglier. Il n’y
avait plus de doute, la voix était bien celle de mon ange gardien. C’était
proprement incroyable.
Le samedi
suivant, à cinq heures, j’allais prendre le thé dans son petit studio. Après le
thé qui dura longtemps, ce fut l’apéritif et elle m’invita à rester dîner. Je
la vis préparer la cuisine pendant que je buvais un dernier Martini. Elle était
magnifique cette fille, mais j’étais trop timide pour oser brusquer les choses.
J’entendis la voix à nouveau qui me dit :
— Lève-toi !
Je me levais.
— Va vers elle et ne dis rien.
Elle me tournait
le dos en train de remuer la préparation pour les lasagnes. J’avançais en
silence et arrivais derrière elle.
— Mets-lui une main au cul !
Là je trouvais
que la voix avait du culot pour un ange et me mis à trembler. La voix
continua :
— Fais ce que je te dis. Je suis ton ange
gardien.
J’avançais la
main et la posais sur ces fesses, sûr de me prendre une tarte en retour. Elle
ne réagit pas. La voix se fit à nouveau entendre :
— Caresse là idiot !
Je commençais à caresser les adorables
rondeurs tout en tremblotant. Elle posa la cuillère de bois dans la sauteuse,
se retourna, prit ma tête entre ses mains et à ma grande surprise, en faisant
un petit sourire, m’embrassa. Puis elle me dit :
— Tu as mis le temps. Va t’asseoir, c’est
presque prêt.
Cette nuit-là,
je ne suis pas rentré chez moi.
La voix m’a
accompagné pendant toutes les semaines qui ont suivi. À chaque fois, elle me
disait quoi faire dans une situation périlleuse où simplement pour m’attacher
davantage à Sonia (c’était le nom de ma nouvelle compagne). Lorsque je lui ai
dit que j’avais mon ange gardien personnel, ce fut une longue nuit de
discussion.
Il a fallu
qu’elle parte faire ce stage à Paris, elle n’avait pas le choix. Trois longues
semaines d’absence.
Ce soir, la voix
m’a ordonné de jouer à des jeux érotiques avec Sonia en l’attachant sur le lit
avec ses foulards de soie qu’elle porte l’hiver. J’ai fait ce que mon ange
gardien voulait. Il m’a dit de me placer derrière elle. Facile, le lit ne touche
le mur que sur un côté. J’ai obéi. Maintenant, il me reste un foulard à la main.
La voix m’avait ordonné d’en prendre cinq et m’avait dit d’attacher pieds et
mains aux montants du lit. Une fois derrière je ne sais pas quoi faire, mais j’entends
à nouveau distinctement la voix autoritaire de mon ange gardien. Il dit
simplement :
Le
mois dernier, je vais chez le marchand pour acheter une nouvelle tronçonneuse, l’ancienne
ayant rendu son âme. En effet j’ai du bois à faire et étant seul, je ne vais
pas attaquer à la scie des troncs de 30 cm de diamètre et de 1 m de long pour
les couper en 50.
Je commence à couper mon bois dès que j’ai du
temps de libre. L’engin fonctionne à peu près correctement, excepté que la chaîne
n’est pas compatible avec mon ancienne tronçonneuse, ni les divers accessoires
que j’avais, comme toujours… J’arrive à couper pendant 30 jours la moitié de
mon bois.
Le
trente et unième jour, la tronçonneuse refuse de démarrer !
Je
repars chez le marchand mon engin sous le bras, passablement embêté. Le type me
regarde et me demande :
— Vous
avez validé votre tronçonneuse ?
— Pardon !
— Si
vous ne validez pas dans les trente jours votre tronçonneuse auprès du fabricant,
elle s’arrête. Il y a dedans un mécanisme qui l’empêche de fonctionner.
— Et
vous ne pouvez pas le bricoler ce mécanisme ?
— Ce
serait de la contrefaçon. Le constructeur a mis cela pour protéger ses
tronçonneuses. Vous êtes sûr d’avoir une vraie tronçonneuse et pas un modèle de
contrefaçon qui vous apporterait des ennuis.
— J’ai
pas de temps à perdre. Et comment valide-t-on cette tronçonneuse ?
— En
découpant le bon qui est à découper dans le « Chasseur Français »,
dans le numéro spécial qui est offert pour tout nouvel abonnement d’un an. C’est
marqué dans votre mode d’emploi. Vous ne l’avez donc pas lu ?
— Heu non. Il n’y a pas d’autre moyen ?
Je m’en fous moi du « chasseur français », je ne suis pas chasseur. Et
puis j’ai pas envie de m’abonner à quoi que ce soit. Vous avez peut-être une photocopie
de ce bon ?
—
Les photocopies ne marchent pas, il faut l’original.
Je
suis rentré désappointé avec le sentiment de m’être fait arnaquer.
Cette
histoire vous paraît une fiction ?
Et
bien pas tout à fait, j’ai juste changé quelques noms !
Résumons :
J’ai
besoin d’un outil et je l’achète. Au bout de 30 jours, cet outil s’arrête de
fonctionner. Pour qu’il puisse continuer à fonctionner, je dois le « va-li-der ».
Pour
le valider, je dois prendre un abonnement à un truc qui n’a aucun rapport avec
mon outil, alors que ce truc je n’en n’ai pas besoin. Tout ce que je veux, c’est
me servir de mon outil que j’ai acheté. (Ici couper du bois).
Cette
histoire vous paraît une fiction ?
Plus
tout à fait maintenant. Je pense que vous avez compris. Pour ceux qui n’auraient
pas tout à fait compris, je vais préciser le résumé que je viens de faire aux deux
derniers paragraphes.
Je
répète les paragraphes :
J’ai
besoin d’un ordinateur et je l’achète. Au bout de 30 jours, cet outil s’arrête
de fonctionner. Pour qu’il puisse continuer à fonctionner, je dois le « va-li-der ».
Pour
le valider, je dois prendre un abonnement à internet, alors que je n’en n’ai
pas besoin. Tout ce que je veux, c’est me servir de mon PC que j’ai acheté.
Précisions
encore :
J’ai
besoin d’un ordinateur et je l’achète avec Windows 7 (tous mes programmes sont
PC et je n’ai pas les moyens d’acheter un mac). Au bout de 30 jours, Windows 7
s’arrête de fonctionner. Pour qu’il puisse continuer à fonctionner, je dois le « va-li-der ».
Pour
le valider, je regarde si on peut le faire par téléphone : NON ! Que
par internet.
Je
dois prendre un abonnement à internet, alors que je n’en n’ai pas besoin. Tout
ce que je veux, c’est me servir de mon PC que j’ai acheté pour bosser et qui
est dans un lieu non équipé d’internet et que je ne veux pas équiper, car je ne
vais pas payer des charges fixes dans ce lieu.
Alors
l’histoire de la tronçonneuse ? Elle vous paraît toujours débile ?